Message dans un violon
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Publié le 22/05/2024
Une amie m'a confié son violon pour réparation et réglage, un Mirecourt assez standard mais plutôt bien fait. Lors de la première inspection de l'intérieur du violon, j'ai découvert
un message écrit à l'encre violette directement sur le bois du fond, dans un endroit un peu inhabituel puisqu'à l'aplomb de la touche. Pas du tout au droit des ouïes comme le font les luthiers lorsqu'ils apposent une marque au fer, une étiquette, ou la mention manuscrite d'une restauration. Autant dire que
le message était à peu près illisible du fait de son emplacement, et bon courage pour le déchiffrer avec le miroir de dentiste que l'on introduit par les ouïes pour inspecter l'intérieur d'un violon.
Mais peu importe puisque la table fendue nécessitait un détablage. Une fois le violon détablé,
le message écrit à la plume a été révélé.
Fait par Jules
Sirgent, apprentis chez Mme Bourlier
Le 22 septembre 1885
à Mirecourt (Vosges)
Agée de 16 ans
Une rapide recherche m'a permis de savoir qu'un
Jules Sirgent né en 1869 a bien été luthier. 1869, date de sa naissance + 16 ans = 1885, date du message inscrit dans le violon,
c'est bien lui ! Pour en savoir plus, la personne à contacter était sans conteste Roland Terrier, luthier et spécialiste des ateliers de Mirecourt et de leur histoire. Il a réuni une documentation incroyable et acquis une expertise qu'il partage sur son site
www.luthiers-mirecourt.com
Je lui envoie la photo de ce message touchant et il me répond aussi sec :
"Merci du partage. C’est d’autant plus émouvant que son patron, Eugène Bourlier, est mort en juin d’où la référence à Madame. Mais cette veuve meurt en décembre de la même année !"
Il m'apportera ensuite d'autres précisions :
"La veuve de Bourlier était une femme Maline (déjà deux fois veuve) et les deux apparaissent sur la généalogie Bourlier. Jules Sirgent est bien né le 9 décembre 1869 à Mirecourt, mais il est mort le 11 juin 1933 à Paris 20ème et pas en 28 comme indiqué dans les dictionnaires. Il avait épousé en 1895 à Paris Louise Voirin, nièce de l’archetier François Nicolas Voirin".
Comme bien souvent à Mirecourt, la lutherie est une histoire de famille !
Je transmets évidement ces informations à la propriétaire du violon qui m'en dit un peu plus sur le parcours de son instrument :
"Ce violon a été acheté par une amie à sa collègue originaire des Vosges, qui elle même le tenait de sa grand-mère, une femme qui serait probablement née aux alentours de 1900". Bon, rien de très précis mais
on retourne tout de même... dans les Vosges.
Au delà de l'aspect historique de cette inscription,
je la trouve surtout très émouvante. Il n'est pas d'usage que les apprentis signent leurs violons, ce qui expliquerait qu'il ait choisi
un endroit caché pour ne pas se faire taper sur les doigts par la veuve Bourlier ! J'imagine tout à fait ce jeune homme de 16 ans, fier de son travail,
dédicaçant en catimini un de ses premiers violons. Et ce petit cœur à la fin du message !
Ce violon n'avait n'avait jamais été détablé, et l'âme était potentiellement d'origine : il est probable qu'en ouvrant l'instrument j'ai été le premier à lire
ce message laissé par un apprenti luthier 138 ans plus tôt. Jules me destinait-il ce message ? Aucun moyen de savoir ce qu'il avait en tête à cet instant, mais moi j'ai bien envie de le croire !
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